23/02/2012

Les liaisons sont dangereuses, le théâtre rock'n roll


John Malkovich entouré de sa troupe de jeunes acteurs. Photo : Gaspard Leclerc


Si je devais m’exiler sur une île déserte avec un seul livre, perspective peu probable, je choisirais Les liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos. Un chef-d’œuvre, dont les adaptations sur grand écran furent, à mon sens, plus ou moins heureuses. A l’insipide Valmont de Milos Forman, je préfère la transposition dans les années soixante de Vadim. Et celle de Stephen Frears, pour les performances de Malkovich et Glenn Close qui donnèrent à jamais leur visage au Vicomte de Valmont et la Marquise de Merteuil.
D’où mon appréhension, en arrivant au théâtre de l’Atelier. Comment John Malkovich, metteur en scène, peut-il faire oublier John Malkovich, acteur ?

Parti-pris. Trois heures plus tard, l’angoisse est devenue plénitude. Transportée par le jeu des acteurs, je suis ailleurs. Dans un espace-temps à mi-chemin entre le XVIIIe, dont la langue nous parvient (grâce à l’adaptation pour le théâtre de Christopher Hampton), et notre XXIe siècle. Les tablettes et portables y ont remplacé la plume. Et les costumes comme le décor mélangent allègrement les redingotes et robes à crinoline (avec cerceaux apparents) aux jeans et chaises en formica.
Mais l’esprit de Laclos demeure. Il dénonce le cynisme, les manipulateurs et l’hypocrisie d’une caste pervertie par le pouvoir. Propos d’une furieuse actualité.

Iconoclaste. Comme Laclos au siècle des lumières, Malkovich fait voler en éclat les conventions. Sa mise en scène sent le sang, le sexe, la violence. Ses acteurs, à la jeunesse insolente, sont terrifiants de talent. Julie Moulier est une Merteuil à l’âme aussi noire que sa tenue. Yannick Landrein, un très grand Valmont. Il a l’élégance et l’œil qui frise d’un Malkovich, l’aisance corporelle d’un Vincent Cassel, pressenti à l’origine pour le rôle. Et un jeu qui n’appartient qu’à lui.
Alors certes, la perfection n’est pas de ce monde. Madame de Tourvel, notamment, peine à nous convaincre de sa candeur. Mais l’énergie, le culot et le plaisir manifeste qu’éprouve cette jeune troupe électrisent le public. Un grand spectacle.
Théâtre de l'atelier, Paris 18. Jusqu'au 30 juin.