Cela sonnait comme un avertissement. Hier soir, les voisins d’Aurélien ont pendu la « crémaillère du vide », en référence à la rénovation minimaliste de leur appartement. Plus de bibliothèque, plus de livre, tout sur ordi. Presque un autodafé. Ce matin, Aurélien se sent déphasé, vaguement déprimé. Il met sa mélancolie sur le compte de sa mauvaise nuit.
Genèse à l’envers. Aurélien n’abuse que lui. Car c’est de sa vie que sonne le glas. Du dimanche jusqu’au samedi, durant sept jours, il va ainsi se dissoudre, s’effacer. Peu à peu, il disparaît du champ corporel, olfactif, visuel de ses proches. Et se noie dans leur indifférence. Ses révoltes, ses tentatives pour accrocher l’attention de Clotilde, son amoureuse coquelicot, ou le regard d’une mère qui le conçut un soir d’été dans un jardin public avec « l’amant fulgurant », tout est vain. Il n’est déjà plus que le lecteur pour s’émouvoir du désespoir d’un homme de papier et d’encre, qui prend chair en même temps qu’il meurt, sous la plume de Sylvie Germain. Alors, bien sûr, chacun interprétera à sa façon cette lente disparition. Est-ce une maladie mentale qui plonge Aurélien dans l’oubli de lui-même ? Ou la métaphore d’une précarité qui fait brutalement basculer parmi les invisibles de la rue, des hommes et femmes dits normaux ? Le beau passage où Aurélien rencontre un SDF semble le suggérer. Comme attiré par l’homme, dont la pestilence éloigne les autres passants, Aurélien s’en approche. Il le fixe et « supporte le regard qui le brûle, l’incise comme il supporte l’infection ». Quitte à attraper le virus. Mais peu importe l’interprétation, après tout. Pourvu que, comme moi, vous goûtiez la puissance de ce récit envoûtant.
Sylvie Germain est notamment l'auteur de Le livre des nuits, L'enfant méduse, Tobie des marais... Hors champ a été publié en 2009 chez Albin Michel, puis en 2012 au Livre de Poche.